sur la peinture
sur la peinture,
commencer à dire, essayer de dire. je ne sais pas pourquoi cela me
semble dangereux. toujours il me semble difficile et dangereux de
formuler quelque chose lorsque la chose se passe de mot, comme la
peinture, mais à vrai dire, peut-être qu'on ne peut se passer de dire.
sûrement, il y a toujours ce pas de côté, le regard, les mots, ce qui
fait qu'on sort de la chose, qu'on n'y reste pas collé. mais au vrai de
la peinture, ou plutôt de l'acte de peindre, au moment de peindre,
quelque chose est collé, se colle à l'objet, au sens propre comme au
figuré, le pinceau, les
couleurs et l'âme. un temps on n'est plus que cela, pinceau, couleurs,
main, bras, corps et âme ou tout cela, seulement cela, ce qu'on est là,
un bleu, un gris, un rouge. je touille, je trace, je ne pense à rien, je
suis dans ma main, je ne vois rien, il ne s'agit pas des yeux, pas de
ceux-là. mais de quoi il s'agit, je ne sais pas. le plaisir de touiller, d'étaler, de
remplir. moi qui n'usait qu'un tout petit bout de page à l'encre
claire, je ne laisse plus un trou, plus de vierge, je bouche tout, c'est
la boucherie. je suis cette main qui tient fermement le pinceau comme le
boucher tient fermement le couteau et tranche, même si cela se fait
avec nonchalance, il faut que ça soit ferme et précis, sinon c'est raté.
je vibre et je m'aplatit comme le pinceau, simplement je ne tue pas
d'agneaux, ou symboliques mais je tache et j'ai une blouse. je suis la
feuille qui reçoit l'impact, les
poils doux et pâteux, la tension du papier, tout cela je le sens et je
le suis d'une certaine manière, quoiqu'il advienne. et cela change vite,
très vite, la qualité du papier, d'une couleur, d'un pinceau et surtout
l'état de la page, définitivement souillée. là, j'ai fait une tache,
c'est visible et indélébile. cela peut s'arranger mais pas s'effacer.
sinon brûler ou noyer. les grands moyens. la fumée ou l'effilochure.
l'épatant, c'est qu'un geste suffit à recouvrir, entièrement mais pas
complètement car quelque chose du dessous subsiste, est mémoire. mais ce
que je cherche là, ce que je fabrique là, ce qui insiste, ça je ne sais
pas. j'ai pensé : sortir de l'informe mais je ne sais même pas ce
qu'est la forme, quant au fond n'en parlons pas. à ce vieux problème,
j'essaie toujours de me souvenir des vers de pessoa, qui, toujours
m'échappent dans leur exactitude, alors je retourne les lire pour la
énième fois, et là une fois
encore, mais qui pour moi disent : la forme est le fond ou devrait être
le fond : "l'unique signification intime des choses, c'est le fait
qu'elles n'aient aucune signification intime." "la fleur n'est qu'une
fleur" "les dieux n'ont pas un corps et une âme mais un corps seulement
et sont parfaits. c'est le corps qui leur tient lieu d'âme et ils ont
leur conscience dans leur propre chair divine." "je pense et j'écris
ainsi que les fleurs ont une couleur mais avec moins de perfection dans
ma façon de m'exprimer parce qu'il me manque la simplicité divine d'être
en entier l'extérieur de moi-même et rien de plus. je regarde et je
m'émeus. je m'émeus ainsi que l'eau coule lorsque le sol est en pente."
"la lumière du soleil ne sait pas ce qu'elle fait. et partant, elle ne
se trompe pas, elle est commune et bonne." bon là, je pourrais tout
copier parce que c'est beau, beau, beau mais ça n'était pas le
sujet, pessoa. le plaisir de me débattre corps, avec la matière, avec
l'inconnu. c'est l'aventure dont on ne sort pas vivant, c'est la vie et
la mort. parfois j'attaque le papier comme si le pinceau était flèche et
qu'il y avait une bataille à mener, parfois je fais la paix, je
caresse, j'arrive à quelque chose de délicat et puis je m'énerve à
nouveau, je rature, j'enrage, oui les émotions sont là, je ne les quitte
pas à la porte. impossible. ça n'est jamais pareil. ça n'est jamais
moi. ça m'échappe. comme un rot, comme un pet, comme un juron et
pourquoi pas, comme un mot doux. je ne sais rien. je recommence. est-ce
que ça veut dire que je cherche quelque chose ? haussement d'épaules. je
ne sais pas. encore une fois. au départ oui, il y avait une volonté d'apprendre, d'être dans l'atelier, d'en
découdre avec la ligne, d'oser la masse, la couleur et de voir ce qui
se passe là. si cela est ou n'est pas trop fort pour moi. mais c'est
déjà trop dire, si je suis honnête, je ne sais pas plus ce
qui m'a poussée là, que ce qui me pousse à écrire ou à aimer, pour ne
pas dire me brûler. cela, expliquer cela, j'y renonce. c'est pas le bateau, le banal manque, le bateau, le banal désir, on leur colle tout à
ces deux là, ils justifient tout ces deux là. j'ai pensé : être l'artisan de sa
vie, la bricoler, sans plus, sans assurance. peut-être que ça peut être
beau. qui sait. malgré soi car la beauté ne peut-être qu'en sus. et
pensant que quelque chose en soi ou hors de soi puisse valoir la peine.
la peine d'être léguée. donc c'est que ça doit être important. c'est
vrai c'est dur d'ajouter aujourd'hui au monde saturé d'objets de
nouveaux objets, des peintures. je ne vois que la lignée, celle
qui me rattache aux bêtes, aux grottes, à la pierre, au fait de faire
empreinte, de laisser trace comme la rencontre du sable et
du vent fait ligne sur la dune, les pattes du renard trou sur la neige fraîche. il y a une influence de
chaque chose sur chaque chose. c'est infini. avant moi, après moi. et
tout change si vite. sans compter les sentiments. certaines choses, on les continue ou elles nous continuent. la peinture ? c'est si neuf, que je me trouve nue comme
un ver, défaite de mots et éblouie. pour l'instant c'est cela la
peinture : nudité, silence et éblouissement.