Le manque est ailleurs. Rien ne le comblera. Le manque. Il
continuera sa béance. Le manque. C’est le point aveugle. On ne sait pas du
tout. (On ne sait rien.) On ne voit pas le trou. Du manque. On tombe à tout les
coups au fond. Au noir. C’est notre angle mort. On se tourne et boum. L’angle,
l’aigle. L’aigle de Johnny dit Emilie. Celui avec le bec jaune. Le couple
d’aigles peut passer plusieurs années ensemble, voir une vie. Nous
ne sommes donc pas seuls à être fada. Oh, se jeter du haut du ciel, dans le
néant. Du manque. Le beau vol plané, le baiser de la falaise. On ne le fait pas. On
regarde en bas, la mer comme du béton. Je ne le fais pas. Je ne me jette pas du
haut du ciel. Je suis affligée. Un bon piquet au fond d’une vallée fraîche. Le ruisseau coule. Avec les poissons de toutes couleurs. Enfin surtout argent. Mon dieu, ces poissons sans pesanteur.
L’eau coule là et on s’allonge là. Ça y est, on oublie le manque, on écoute
l’eau. On ne résiste pas au bruit de l’eau. On se calme. Je me calme. Imparable
baume, le ruisseau. Et puis c’est la maison. Il y a une maison. Un lavoir. Le ruisseau vert,
le bosquet au bout de la route. Les fougères grandes. Les serpents. L’ombre. Réclusion. Oui, on a tous nos crimes. J’ai mes crimes. Nos
lâchetés. C’est humain. Oh, comme je suis humaine. Et le manque. Le corps en
dit long. Il n’est pas épargné, le pauvre. Quel siège. Il faut comprendre ceux
qui se noient dans l’alcool. Oh que c’est lourd à déplacer, le corps. Il faut
voir. Et tout ce qu’il permet. Il nous fait. Il est nous. On est lui. Je suis
mon corps. Au moins ça. Déjà ça. Tout ça. Et les danseurs. Fous. Se rendre
léger, voler, alors qu’enclume. Ou sortir les larmes. Pas lourdes non plus, les
larmes. A la fin, il n’y en a plus. On boit de l’eau et on repart. Avec le
corps qu’on a. Sans le charcuter. Comme le désir coûte ! Cher, très cher. S’il pouvait se
taire aussi. Le désir. C’est bon. Du silence ! Ah,
c’est toute la vie. Oui, toute la vie. Rabattons-nous donc sur la vie.
Rabat, Rabat, Rabat, les olives, la sauce tomate, la viande hachée, les œufs
écrasés, la galette, wili, wili, wili. Manger, voilà. Quelle fête ! C’est
étrange ce désir que les choses soient uniques, uniques les sentiments. Du
neuf, du jamais vu, du flambant. Plus beau, plus fort. Impossible de se
contenter de ce qui est là. Pourtant tout est là. Attendre le retour du même.
Les saisons. En finir avec les visées, les projets, les programmes. Les barbelés. Comme si la vie n’était pas là, ici et maintenant. Comme si la
vie, c’était demain. Comme si cela ne suffisait pas. Basta ! L’amour,
c’est aujourd’hui. Ah mon péché, l’arbre à pêches. L’amour. De ça, je ne dirai
rien. Le manque. Rien à en dire. C’est l’échappée. Belle.