spring rituals / 29 mai
















Tout est possible. On peut tout imaginer. Imaginer que l’imagination est sans limites, sans bornes. Sans rivages, sans images. On peut tout imaginer. On peut imaginer saisir une étoile, gober une étoile, comme pendeloque. On peut s’énerver fort, crier et même hurler, à la mort et aux loups. Aux loups, aux loups ! Les loups, on le sait, les loups nous mangeront. Ils nous dévoreront. Nous serons de pauvres morceaux de chairs et d’os épars. Simplement, la peau. Le démembrement. Il ne pourra plus être question d’identité, de direction. Des morceaux de corps. Un corps entier encore peut-être parfois, un corps isolé, perdu. Et l’âme qui vole, le radeau des souvenirs. Des souvenirs d’octobre. La lumière est douce. L’air est encore chaud. L’être aimé n’est pas encore parti. L’être aimé est là, intact, corps et âme, paroles même. Il est là, intact. L’être aimé dit : pourquoi tu traînes ainsi, par terre, en blanc, si ce n’est pour te salir ? Si ce n’est pour peindre ton pantalon de poussière ? Tu aimes tant être sale ! Je ne réponds pas, mon corps parle de lui-même, je me traîne. C’est octobre. Je cherche quelque chose. Ça se passe au raz du sol. C’est quelque chose qui a à voir avec l’horizon. Vertical, là, je ne peux pas. Il faut accuser le coup. Mon corps parle à ma place. C’est reposant. Cette voie s’est trouvée. Qu’y puis-je ? C’est ma langue étrangère. Le corps, c’est ma langue. Ma langue, qui goutte par le front. Une langue goutte toujours. Une langue sue. Elle doit sentir. J’aime aigre. Je reste au sol, sale. Au-dedans. L’être aimé ne peut y être. Il peut observer ma langue étrangère. De dehors. Il faut des lumières. Le blanc est passé gris. Je fais signe à l’être aimé. L’être aimé doit savoir où le blanc se trouve. Le blanc est son domaine. Car l’être aimé a quelque chose de divin. Pourtant l’être aimé non plus, ne se sauvera pas des loups. L’être aimé devra partir car les loups deviendront fatalement menaçants. Pour rester entier. Car la douce lumière blanche ne peut suffire. La nuit s’en vient malgré tout. Les secrets gonflent. C’est la nuit. Il n’y a plus rien à attendre. La nuit est là. Le blanc ne peut être réclamé encore. Plus personne à qui réclamer le blanc. Alors je mangerai le premier venu, je sentirais ses cheveux et je lui ferai respirer mon odeur de mâle et de loup. Je sortirai ma langue et l’autre sera tout disposé à se faire dévorer. Car qui ne rêve pas de se faire dévorer ? De ressentir la peur du loup. Le défendu. La peur accélère la pulsation du cœur. La peur est dans le corps. Elle rappelle qu’on est un corps, des sensations, de la lourdeur. Mais le souffle, lui, est léger. Il effleure. Il suggère. Il laisse à désirer. Il se perd. Il se répand sur les petits cheveux fins de la nuque, volatiles. Il les soulève légèrement. Le souffle. Avant le son. Avant que le cri. Le hurlement. Les loups à la lune. Il n’y a qu’eux qui sachent attraper la lune. Eux et l’étang de novembre. Froid. Bientôt gelé. Il est là, derrière la fenêtre. Je le sais mais ne le vois pas, à l’horizontal. Juste je sais que l’étang et là, la lune dedans avec les poissons vaseux. En moi aussi, il y a l’animal. D’abord, son odeur se manifeste, puissante, âcre comme un poison. L’animal me prend. Les loups déchiquètent ce qu’il reste de mon intégrité. Je suis à terre. L’être aimé n’y peut rien. Il ne peut pas tenir. Des morceaux ne font pas un homme dit l’être aimé mais le loup dit l’homme ne peut être qu’en morceaux. Egal. Morcelé. L’être aimé dit je n’aime pas que le blanc soit taché. Cela m’est une répugnance odieuse. Le blanc doit être immaculé, comme on ne traverse pas un mur. Ça n’est tout de même pas la mer à boire. Eh bien quoi ? Je me relève. Je tourne comme un damné. Je tourne en mille morceaux. Je suis éclaté. Je suis des éclats. Rien ne peut plus m’être utile que ton nom. Ton nom mille fois répété. Je dois éponger mon front. Il fait encore chaud pour la saison. Vraiment. Même en morceaux. Ces mille morceaux qui ne me rendront pas ma dent. Il manquera toujours quelque chose. Si ce n’est l’être aimé, trop immense de toute façon, qui ne peut être aimé, ne sachant pas aimer, reste dieu. Seul dieu le peut. Le cœur est toujours trop étroit. J’aime bien quand tu tournes autour de moi, tu me regardes, tu m’éclaires, tu me respires dans l’oreille, je sens ton haleine mâle. J’aime bien. C’est le corps, le souffle qui lève le cœur, la langue aussi. Tout le bassement instinctif, tout l’attirail d’amour. Le désir est là, dans l’animal. Et c’est le printemps des loups.