J’écris dans un vide heureux.
Qui s’ouvre après le feu. Après l’incendie et l’impuissance à l’éteindre.
J’avais constaté les dégâts : des hectares de ma terre intérieure de cendres + le sentiment d’une absolue stérilité, d’un bâtir rendu impossible, d’une vie dévastée, d’un trou morbide où même la lumière ne passe pas ni l’eau des larmes + le cœur vide + le sexe sec + le corps à sac + la tête trouée + pas d’endroit où retourner.
J’étais restée plantée là. Exposée au vent, à la pluie, au soleil. Petit à petit j’avais été recouverte de boue, de feuilles mortes et de brindilles. Je m’étais fendillée. Les insectes avaient creusé les fentes. Je devenais souterraine, marécage. J’avais grignoté mon cœur. Des poissons microscopiques ma chair. Mes os sédimentaient. Mes poils, pris en surface, s’étaient changés en cheveux. C’est comme s’ils me contenaient toute.
Et puis la vie m’a repêchée. Sans me demander mon avis. Elle a pris le temps de me faire un corps solide. Elle y a replanté un à un mes cheveux. Le soleil les a roussis et ils se sont enroulés. La lumière m’a offert des dents blanches et j’ai recraché un cœur d’hirondelle. Elle m’a noircie. Du plus beau noir qui soit. Quelque chose s’est mis à briller à l’intérieur : une sorte de veilleuse. J’étais une petite morte ressuscitée.
Je ne comprends pas la vie, que le soleil – sa lumière – a appelé encore.
J’ai entendu la vie dire : « Encore. Je te veux encore. » Pourquoi moi ? Pourquoi après cette désolation ? Pourquoi plus grande, plus belle, plus nègre ? Avec ce supplément d’amour. Pour rien.
J’ai posé ces questions à voix haute, les réponses étaient ailleurs et maintenant, je refais les gestes de vie. Je bois l’eau de pluie. Je dors sous un toit nouveau. J’enfante et berce mon bébé. Je n’agresse personne. Je suis lavée, pénétrée d’une douceur qui n’était restée qu’en surface. Au bruit du temps, je tresse mes pensées, j’étends mes vertiges et j’écoute les anges s’ébrouer comme de jeunes chiens trempés. Autour de moi, j’enroule ma personne. Mon bébé est là. Il ouvre les yeux. Il intéresse beaucoup les bêtes. Son babil est une eau fraîche et ruisselante. J’aime sa langue. Les bêtes aussi. Il est chéri. Il grandit à vue d’œil. Si bien que les bêtes l’emmènent de plus en plus loin et toujours plus longtemps. Je le vois s’éloigner magnifiquement.
Un jour, un homme vient jouer de la flûte. Il est là pour sceller la destinée de mon enfant. Quand le morceau est fini, il dépose l’instrument dans mes mains. Il met des fleurs dans mes cheveux et dans ceux de mon enfant. Il nous fait signe de nous embrasser. Mon enfant disparaît. Je dépose la flûte dans la mousse et je déshabille le flûtiste. Son corps est brun et tendu. Je me dis qu’il doit être pâtre. Je regarde ses mains. Je les pose sur mes seins, encore gonflés de lait : mon enfant avait si vite grandi. Je lui propose de boire. Il me tète. Avide comme un nourrisson. Un assoiffé. Je n’ai plus de lait lorsqu’il lâche la mamelle. Je sens confusément que nous allons nous aimer. Il m’offre son corps et je le prends en moi. Suffisamment longtemps pour qu’il me garde en lui. Avant de partir, il ramasse sa flûte et il me chuchote à l’oreille : « Je vais revenir, garde la flûte. » Changée, je reste seule. Avec la flûte.
Mon enfant ne revint plus. Il ne m’oubliait pas. Simplement il n’avait plus besoin de moi. Ni des bêtes sauvages. Son cœur était plein. J’appris à jouer de la flûte. Le flûtiste revint. La flûte nous liait. L’amour aussi.